Déclaration de candidature
Le Figaro- 03/12/2001 - Bayrou se relance parmi les siens - par Guillaume TABARD
Réunis à Amiens, les militants UDF ont approuvé à l'unanimité sa candidature à l'Elysée, malgré des sondages qui restent à ce jour défavorables
François Bayrou a été investi samedi, à l'unanimité, lors d'un vote à mains levées, candidat de l'UDF à la présidentielle. Les quelque 1 500 participants au congrès d'Amiens ont massivement approuvé une motion déclarant notamment: « Nous soutenons pleinement François Bayrou, candidat naturel et légitime. »
Aussitôt son discours terminé, François Bayrou fait monter à ses côtés Elisabeth, sa femme, et André, le dernier de ses six enfants. Emu et rassuré par sa famille, qu'il avait jusqu'alors préservée des projecteurs. C'est avec cette famille-là qu'il repart en campagne, comme pour oublier une autre famille, politique cette fois, cette UDF où l'esprit de camaraderie a été mis à rude épreuve ces derniers jours.
François Bayrou ne se faisait bien sûr aucun doute sur le soutien des militants. En fin d'après-midi, samedi, aucun bulletin jaune, marqué « non », n'a été brandi. Journée sans surprise, donc, mais pas sans débat. Pour la première fois, la discussion sur la stratégie politique de l'UDF s'est déroulée devant les militants et non plus par seule presse interposée.
En lever de rideau, Nicole Fontaine s'installe à la tribune. Depuis quelques jours, les chiraquiens citent son nom comme premier ministre possible d'un Jacques Chirac réélu. Vingt-sept feuillets plus loin, la présidente UDF du Parlement européen invoque un étonnant « devoir de réserve » et insiste sur la nécessité de « se rassembler autour du mieux placé pour gagner ».
Mais ça n'est pas cette confrontation-là qui retient l'attention. Aussitôt arrivé à Amiens, Philippe Douste-Blazy s'isole avec François Bayrou pour préparer au mieux une explication qui s'annonce tendue avec des militants qui ne pardonnent pas au président du groupe UDF son ralliement à la stratégie élyséenne. De fait, quelques sifflets fusent à son arrivée. « Nous sommes le parti de la tolérance », doit rappeler Hervé Morin. Un peu tendu, mais la voix assurée, Philippe Douste-Blazy attaque un discours soigneusement travaillé. L'enjeu pour lui est double: faire oublier Angers, ce congrès de l'an passé dont il s'était éclipsé pour ne pas défendre une ligne minoritaire, et prendre date pour l'avenir. A Amiens, il ne mâche pas ses mots et fixe d'emblée à son rival une barre qu'il sait désormais inatteignable: « le score de Raymond Barre aux présidentielles de 1988 et qui constitue toujours une référence pour mesurer notre poids électoral réel ». Raymond Barre avait obtenu 16,5 % des voix...
Sans en faire nommément le reproche à Bayrou, il dénonce ensuite l'inutilité d'une « candidature de témoignage », d'une « campagne faite uniquement pour se démarquer du RPR et de DL » et de la stratégie de « l'échec positif », c'est-à-dire du pari d'une défaite de la droite pour en prendre ensuite la tête. Il se met du côté de ceux qui « n'acceptent pas que l'UDF ait vocation à devenir un supplétif électoral », alors qu'il s'agit précisément du reproche adressé par les amis de Bayrou. Les militants ne sont pas dupes et le sifflent copieusement lorsqu'il prévient: « Nous n'avons pas le droit de dilapider un capital chèrement acquis. » Enfin, se projetant au lendemain de la présidentielle, il se pose en défenseur des futurs candidats aux législatives: « C'est de notre capacité à avoir un groupe parlementaire suffisant que dépendra le poids de l'UDF dans les années qui viennent. »
« Pour ne pas être supplétifs, soyons présents dans la compétition », rétorque Anne-Marie Idrac. Mais c'est François Bayrou qui donne lui-même la réplique. « S'il y en a qui pensent que la candidature à l'élection présidentielle de notre famille politique, de son président, est illégitime, dangereuse ou maladroite, qu'ils montent à la tribune et qu'ils s'expriment ! Qu'ils présentent une motion et qu'on vote ! Le choix, c'est entre relever et déserter. »
Personne ne montera à la tribune. Ni Philippe Douste-Blazy ni Jacques Barrot n'iront jusqu'à défendre la candidature de Jacques Chirac. Les militants votent. A l'unanimité. Le débat est clos. Jean-Louis Borloo, porte-parole, a retrouvé sa voix pour prévenir que « désormais, la loyauté doit être au rendez-vous pour tous ». Le lendemain, même Hervé de Charrette se défendra d'avoir voulu participer à « des manoeuvres au profit de Jacques Chirac ».
Pour François Bayrou, ce samedi 1er décembre signe la sortie du « sale temps », qui va lui permettre, enfin, de se concentrer sur sa campagne, sur son « discours aux Français ». Son espoir reste pourtant indexé sur les prochains sondages. En quittant Amiens, samedi, Douste-Blazy maintient qu'il faudra à nouveau faire le point dans quelques semaines: « On verra où on en est fin janvier. »
Dimanche, en tout cas, les querelles de famille semblent oubliées. Aux murs du Palais des congrès, où s'entassent plus de 2 000 militants, le logo de l'UDF a disparu au profit du slogan « François Bayrou, la relève », qui orne les 5 000 affiches placardées depuis la fin de la semaine dernière. Le ton grave, le candidat prononce un discours-programme dont le contenu révèle que les critiques formulées ces dernières semaines par ses amis ont tout de même porté. Lui reprochait-on de renvoyer droite et gauche dos à dos ? Il rappelle qu'il sait à quel « camp » il appartient, et qu'il a gagné tous ses mandats contre la gauche. Lui reprochait-on encore de ne pas être concret dans ses propositions ? Il « s'engage », en cas d'élection, sur un calendrier précis pour vaincre l'illettrisme à l'école ou réformer les retraites. Lui reprochait-on enfin de ne pas assez exploiter le « fonds de commerce » traditionnel de l'UDF qu'est la construction européenne ? Il consacre un tiers de son discours à dresser les contours d'institutions européennes en scandant que « c'est par patriotisme » qu'il est européen.
Bayrou ne parle plus de « troisième voie », expression maladroite qui a « plombé » son entrée en campagne. Mais il entend toujours tourner la page d'un « cycle de vingt ans où les deux forces qui se sont succédé ont été atteintes par la lassitude ». « Je ne veux plus de l'Etat PS, je ne veux plus de l'Etat RPR, mais je ne veux pas d'un Etat UDF, dit-il. Ce que je veux, c'est la fin de la confiscation du pouvoir par les uns et par les autres. La relève, c'est l'esprit de la coresponsabilité, c'est la révolution de la confiance pour la France. ».
Malgré les critiques qui viennent de son propre camp, le président de l'UDF n'entend nullement renoncer à sa candidature
Les mauvais sondages et les critiques émises par ses propres amis n'ébranlent pas la volonté de François Bayrou, qui officialisera sa candidature à la présidentielle avant la fin du mois de novembre. « Les bons scores se gagnent au combat. Il n'est pas d'exemple où le challenger l'emporte sans se battre », a-t-il déclaré vendredi à Marseille. Concernant l'UDF, dont il est le président, il a affirmé qu'il allait « faire le tri entre les vrais et les faux amis ».
Levez-vous, orages désirés ! Dressez-vous, chiraquiens détestés ! Poignardez, traîtres stipendiés ! Tournez, caméras adorées ! François Bayrou vous attend, l'arme au pied. Vous espère, vous guette. Vous êtes son salut, il le sait. Depuis deux mois, François Bayrou dormait. Mal. Un édredon l'étouffait lentement. Un édredon de dédain médiatique et de confinement politique. Il « ne sentait rien ». N'avait rien envie de dire. Ça tombait bien, personne n'avait envie de l'entendre. Pas envie « d'être le premier pro-Américain de France », comme l'ami Madelin. Bayrou s'avérait une des innombrables victimes collatérales de Ben Laden. Son bus au colza rangé au garage et sa voix, aphone.
Ses adversaires même l'ignoraient. C'était une stratégie mûrement concoctée à l'Elysée par Dominique de Villepin et Philippe Douste-Blazy. Le nom de code aurait pu être « l'édredon ». Ne pas l'attaquer, ne pas répondre à ses provocations. Le tuer sous un bombardement de silence. François-qui-déjà ? La victime semblait consentante. Ne paraissait pas faire campagne. Se lançait comme à regret dans une pré-campagne pleine d'hésitations et de contradictions. Jetait Chirac et Jospin dans le même sac, mais s'empressait d'annoncer son désistement au second tour en faveur du président sortant. Ne donnait aucune ligne, ne concevait aucun projet. De peur de voir ses idées volées par l'Elysée, prétendait-il. Comme si faire campagne était inutile. Comme si le sort était jeté, le président sortant battu, la relève assurée. Lui. Tout était déjà écrit. Dans les Saintes Ecritures ou le Ciel. Bayrou est un mélange curieux de centriste pacifique et de Béarnais vindicatif, de politicien madré et de mystique habité par la certitude d'avoir un destin. Que le « petit chose » de Bordères, fils de paysan pauvre perclus d'humiliations et de bégaiement, soit devenu agrégé de lettres, ministre de l'Education nationale, chef de parti, ne pouvait qu'avoir un sens, révéler un signe, un destin supérieur. C'est dans ce passé obscur que Bayrou avait trouvé la force inouïe de soulever des montagnes et de crier comme tant de Rastignac avant lui: « à nous deux Paris ».
Quand rigolent les esprits forts autour de lui, il rétorque que Mitterrand, Giscard, et de Gaulle aussi bien sûr, étaient « habités ». Il ne citera pas Chirac. Pas une référence, Chirac. Pourtant, dans cette pré-campagne parmi les anonymes, quand Bayrou descend à la mine, remonte le visage noir ou débarque à la criée de Dieppe, à quatre heures du matin, en bottes de pêcheur, écume les interviews de la presse régionale, écoute les Français partout où ils sont, on reconnaît sans peine l'inspiration chiraquienne de l'automne 1994. Mais voilà, les temps ont changé. Les Français ne veulent plus qu'on les écoute, mais qu'on leur parle. Ne veulent plus qu'on leur expose des doutes, mais qu'on leur assène des certitudes. Ne veulent plus qu'on les fasse réfléchir, mais qu'on les rassure. Il y a quelques années, Bayrou avait flairé la révolution en cours, lorsqu'il avait écrit un essai intitulé Le Droit au sens.
Mais, depuis lors, le fauve s'était apaisé; le provincial famélique s'était embourgeoisé; entouré d'une joyeuse bande de quadragénaires sympathiques et modernes, Bayrou avait appris à apprivoiser le monstre médiatique. Le catholique rural d'antan ne disait plus qu'il était hostile à l'avortement, abandonnait Christine Boutin dans sa croisade contre le PACS. Le patriote instinctif psalmodiait « Europe, Europe, Europe » chaque matin. Le démocrate-chrétien, à gauche sur le social et à droite sur les moeurs, devenait hémiplégique. Il ne se reniait pas, mais ne disait plus rien. Bayrou interdisait François d'antenne. Pourtant, il ne cachait pas son anti-libéralisme, son anti-américanisme même, son hostilité à la mondialisation. Las ! ses convictions authentiques venaient en contradiction avec l'Europe telle qu'elle se fait à Bruxelles tous les jours.
Et voilà pourquoi votre François Bayrou est muet. Des contradictions semblables ont permis à d'autres, dans le passé, de ratisser large. Pour l'instant, Bayrou n'y parvient pas. Autour de lui, on s'affole. Ses propres amis lui tirent dans le dos. On lui reproche tout à la fois de ne rien dire, de n'être pas assez à droite. Les mêmes qu'obsédaient ses prestations médiatiques lui font désormais grief de ne pas être crédible. « Bayrou n'est pas candidat à la présidentielle, mais à la succession de Michel Drucker. Il est seulement dans la posture médiatique, dans le narcissisme pur ». D'autres, ou les mêmes, accusent son silence médiatique: « Deux flics sont tués, et on ne l'entend pas. »
Les grands élus UDF se rapprochent de l'Elysée. Certains songent à lui réserver un sort à la Lipietz, mais il n'y a pas de Mamère à l'UDF; et les notables de province n'ont pas les moeurs des anciens nervis trotskistes. Ils ne tuent pas, ils quittent seulement l'arène sur la pointe des pieds, laissant le candidat à sa campagne. Seul. Ainsi, avaient-ils traité Raymond Barre en 1988.
Giscard s'efforce de revenir dans le jeu, mais beaucoup de responsables à l'UDF le laissent au « cimetière des éléphants ». On presse Bayrou de chercher un accord avec Madelin, comme si on ne lui avait jamais pardonné « d'avoir cassé l'UDF ». Tous, tétanisés par un score final qui en resterait à ses 4 % que lui prédisent aujourd'hui les sondages, voient en face « la mort de la famille ». Adieu circonscriptions, sièges de député, fauteuils de sénateur, maroquins ministériels ! Bayrou réplique du tac au tac: « Si je fais 4 %, l'UDF est morte. Mais, si je ne suis pas candidat à la présidentielle, l'UDF est morte aussi. »
Cette révolte des ambitions est la dernière chance de Bayrou. Elle lui a fait prendre conscience que la présidentielle n'est pas une élection comme les autres, pas une législative nationale, une européenne des grands. Il croyait que les Français le connaissaient; il découvre qu'ils lui redemandent sa carte d'identité. Il pensait avoir une équipe solide, il s'aperçoit qu'il est un homme seul.
Les petits coups de couteau plantés dans son dos sont télégéniques. Bayrou retrouve les caméras et les micros avec une joie non dissimulée. Il est intimement convaincu que les « traîtres », comme il dit, sont commandités, manipulés, achetés par l'Elysée. Où la main de Jérôme Monod ignore parfois ce que fait la main de Dominique de Villepin. Bayrou a besoin de croire son analyse exacte. Elle détruit l'opération « édredon ». Le pousse à se battre, lui qui a besoin d'y être acculé. Légitime et grandit son combat. Dans la bataille enfin lancée, il compte retrouver sa fureur perdue.
« Il faut détruire Carthage », dit-il quand il évoque l'Elysée. Il espère que les amis de Chirac à l'UDF, les Douste-Blazy, les Barrot, etc., oseront l'affronter lors du congrès d'Amiens début décembre. En tout cas, il fera comme si. Il a écrit son livre programme en moins de quinze jours. Ce matin, il a remis la disquette à l'éditeur. Sortie prévue avant la fin du mois. La veille, il se sera adressé au pays. Solennel. Il a toujours été meilleur dans l'urgence. Il a un mois pour remettre sa candidature à l'endroit, pour (re)devenir quelqu'un. Pour intéresser à son sort en danger à la manière d'un Chirac transpercé pendant l'hiver 1994 des millions de Français. Il veut croire que ce n'est pas trop tard. Qu'il n'est jamais trop tard.
Projet de campagne
Ina.fr - 08/04/2002 - Clip officiel et présentation du programme de François Bayrou
Journée du premier tour
France Soir. Le 22/04/2002
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