L'insécurité
La Croix. Le 20/04/2002
Libération - 23/04/2002 - L'insécurité, programme préféré de la télé - Par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
L'électrochoc. Le centrage de la campagne sur l'insécurité ne suffit pas à expliquer la crise de confiance des Français
Les JT ont alimenté un sentiment de peur dans tout le pays.
Vendredi et samedi, un fait divers fait le tour des journaux télévisés et des chaînes infos: un vieil homme tabassé à Orléans. «La bêtise et la barbarie», selon Béatrice Schönberg sur France 2. Les images, insupportables, complaisantes, montrent la victime - désignée sous le surnom de «Papi Voise» - commotionnée, en train de pleurer dans son lit d'hôpital. «Quand j'ai vu ce reportage, décliné sur plusieurs chaînes, raconte un journaliste télé, je me suis dit: "ça y est, Le Pen prend deux points."» La télé a-t-elle influencé le vote ? Depuis plusieurs mois, les sujets consacrés à l'insécurité font florès, au point même que l'Unité de bruit médiatique, outil qui mesure la résonance d'un thème dans les médias, montre que l'insécurité a occulté ces derniers mois l'euro. C'est TF1 qui, d'ordinaire, est abonnée à l'insécurité dans ses JT et dans ses Droit de savoir dont un des sujets favoris semble être la brigade anticriminalité en expédition dans les cités. Parfois jusqu'à la nausée. Le 14 janvier, la Une diffuse ça peut vous arriver. Au sommaire: le braquage de voitures, les rodéos sur l'autoroute, la violence avec cette antienne rabâchée par l'animatrice: «ça peut vous arriver.» Mais France 2 n'est pas en reste. L'émission de décryptage des médias, Arrêt sur images (France 5), décortiquait récemment son journal télévisé de 13 heures, présenté par Daniel Bilalian. Le constat est sans appel. En mars, Bilalian a évoqué 63 fois le thème de l'insécurité contre 41 fois pour le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut sur TF1. Une comptabilité que rejette Marie-Pierre Farkas, rédactrice en chef du JT de Bilalian: «En janvier, nous n'avons pas ouvert une seule fois sur l'insécurité, en février, il y a eu les chiffres de la délinquance et en mars, il y a eu de nombreux faits divers, Evreux, Besançon, Nanterre.» Reste la façon dont Bilalian, martelant systématiquement que «l'insécurité est l'un des thèmes majeurs de la campagne», lance les sujets, notamment le 25 mars, après la (finalement fausse) agression d'un chauffeur de bus à Marseille: «On ne sait plus quel adjectif employer (soupir). On pouvait penser à l'impensable survenu la semaine dernière à Evreux, dans un supermarché à Nantes, ou encore à Besançon avec ces deux jeunes filles torturant une troisième... Eh bien à Marseille, c'est encore autre chose.» Il s'agit simplement d'«un ton solennel», selon Marie-Pierre Farkas: «Peut-être y a-t-il un effet de sens, mais j'ai le sentiment de réfléchir et de faire très attention en choisissant les sujets.» Ruines. Cet «effet de sens» dans les journaux télévisés, l'Observatoire du débat public, un organisme d'analyse de l'actualité, s'y est récemment penché dans une étude confidentielle intitulée: Insécurité: l'image et le réel. Se basant sur une médiascopie, c'est-à-dire le visionnage de JT par un échantillon de personnes auxquelles on demande de réagir à ce qu'elles voient, et sur une série d'entretiens individuels. Cette étude révèle que la couverture des faits de violence et de délinquance dans les journaux s'est accrue ces derniers mois. Le déclic se situe lors du 11 septembre. A partir de cet événement, par un effet d'écho dans les JT, on est passé de la violence globale à la violence locale. Les images des pompiers des tours du World Trade Center ont eu leur pendant en France dans les images de policiers tués. Mariette Darrigrand, co-responsable de l'Observatoire du débat public, explique: «Il y a eu dans les JT une accumulation de faits de nature différente qui a donné l'impression que toutes les protections s'étaient écroulées, qu'on était dans la représentation d'un champ de ruines.» Un champ de ruines dans lequel, selon elle, les électeurs ont voulu, dimanche, entraîner les «élites»: «Au-delà du vote protestataire, il y a une volonté inconsciente de "ruiner" quelque chose. Les gens étaient conscients des mesures positives prises par Jospin sur la parité, les 35 heures, mais elles ont été anéanties par le champ de ruines. C'est d'ailleurs très significatif qu'on parle de "séisme" aujourd'hui et il est frappant que Lionel Jospin dans son discours prononce le mot "reconstruction".» Peur. Cette représentation dramatique du monde a créé chez le téléspectateur, selon l'étude, une double peur: à la peur de l'insécurité s'est ajoutée la peur des images de l'insécurité: «Il y a eu dans les JT, notamment ceux de TF1, une théâtralisation, une mise en scène des faits de violence et de délinquance destinée à faire monter l'anxiété, la peur. Or, c'est l'insécurité qui a fait la campagne, et c'est la peur qui a fait voter», analyse Mariette Darrigrand. «A l'inverse, note-t-elle, à la télé, le danger Le Pen n'a pas été théâtralisé mais minoré.».
De gauche à droite, la lutte contre l'insécurité figure parmi les priorités des candidats à l'élection présidentielle et des partis qui les soutiennent.
- Le RPR préconise « l'impunité zéro »: « Tout délit sera puni à proportion de sa gravité. » Parmi ses propositions: la création de conseils de sécurité de proximité dans les communes, placés sous la présidence du maire; la création, pour les mineurs délinquants récidivistes, de centres éducatifs fermés dans chaque département; des mesures financières exceptionnelles, programmées sur cinq ans, pour l'équipement de la police, de la gendarmerie et de la justice; la généralisation du principe de comparution immédiate;
- François Bayrou, président de la Nouvelle UDF (photo Bouchon/Le Figaro.), souligne dans son projet: « Une politique de fermeté ne peut efficacement être menée que par des modérés. » Parmi ses propositions, la création d'un ministère de la Sécurité rassemblant toutes les forces chargées de l'ordre public; la réparation obligatoire et sans délai des torts commis à la victime; la création d'une force de police urbaine pour les 250 quartiers les plus difficiles; la création d'institutions alliant surveillance et éducation ferme pour accueillir les jeunes les plus violents.
-qui n'enferme pas chacun dans sa condition sociale ou communautaire », a déclaré dimanche à la Mutualité Lionel Jospin, le candidat « disponible » du PS à l'élection présidentielle. Parmi les propositions de son parti: une véritable politique de prévention tournée vers les jeunes et leurs familles; la création, dans chaque école, d'une cellule sociale pour prévenir les comportements violents; l'instauration d'« écoles de parents » sous la forme de services collectifs d'aide à l'exercice de la « parentalité »; l'ouverture d'internats pédagogiques renforcés au collège et des « travaux d'intérêt éducatif » dans l'enceinte des établissements scolaires.
- Jean-Pierre Chevènement, ancien président du MDC (Photo Bouchon/Le Figaro.), souhaite conforter l'école publique dans son rôle de transmission de savoir et de valeurs; mettre en oeuvre une grande politique d'accès à la citoyenneté; réformer l'ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants; créer des centres « de retenue » fermés, à caractère éducatif, pour les multirécidivistes; alléger la procédure pénale; prendre des mesures impliquant les services financiers pour lutter contre la délinquance financière organisée; faire voter une loi de programmation pour augmenter les moyens de la police et de la gendarmerie.
- Robert Hue, le président du Parti communiste (photo Archambault/Le Figaro.), réclame le doublement, sur cinq ans, de l'effort financier (d'un montant actuel de seize milliards d'euros) consacré à la sécurité police, justice, politique de la ville. « L'insécurité n'est pas un sentiment, c'est une réalité », a déclaré le candidat à l'Elysée, dans un long discours consacré à la sécurité, le 22 novembre dernier à Marseille. Réclamant une véritable politique de lutte contre l'insécurité et la violence « dans sa globalité », le président-candidat refuse que l'on donne tous pouvoirs aux maires dans ce domaine.
- Jean-Marie Le Pen, président du Front national (photo Delort/Le Figaro.), veut « rétablir le droit et l'ordre ». Parmi ses propositions: refaire de l'école un instrument d'apprentissage des disciplines sociales; organiser l'inversion des flux migratoires; expulser les délinquants et criminels étrangers; réhabiliter la notion de peine prompte, certaine et incompressible; réduire les délais de procédure de justice; rétablir la peine de mort pour les crimes les plus graves; rééchelonner la hiérarchie des peines; soumettre les membres de l'exécutif aux juridictions de droit commun.
- Alain Madelin, président de Démocratie libérale (photo Soriano/Le Figaro.), propose en premier lieu de « définir une nouvelle politique pénale en direction des mineurs, et de créer d'urgence de nombreux établissements adaptés pour accueillir les mineurs délinquants ». Autres propositions: la construction de nouvelles prisons pour humaniser les conditions de détention; la réforme des procédures pénales pour faciliter le travail de la justice et de la police; le redéploiement des forces mobiles dans les zones de délinquance aux heures de délinquance; sanctionner tous les actes de corruption politique et de trafic d'influence.
- Noël Mamère (Verts) (photo Bouchon/Le Figaro.), préconise la création d'un grand service de la police d'Etat, par la fusion de la police et de la gendarmerie « démilitarisée ». Autres propositions: la revalorisation des contrats locaux de sécurité (CLS), la création de nouvelles Maisons de la justice pour renforcer la justice de proximité, la réforme de la comparution immédiate et la revalorisation du statut des travailleurs sociaux.
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