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Intégration

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La Croix. Le 20/04/2002

Libération - 19/04/2002 - La crise de l'intégration (fin) «Le pays doit assumer sa part d'islamité» - Par Charlotte ROTMAN

Français et musulmans, ils exigent la reconnaissance de leur identité.

L'intégration, ils ne veulent plus en entendre parler. Ils n'espèrent plus grand-chose du modèle républicain français, ont tiré les leçons des échecs et des déceptions. Issus de l'immigration, le plus souvent nés en France, ils sont diplômés, forment une sorte de classe moyenne qui a réussi. Mais leur ascension reste bloquée. Alors, certains ont changé de stratégie: pour assurer leur promotion sociale, économique et politique, ils comptent désormais... sur eux-mêmes. En quête de «visibilité», ils exigent une place dans la société qui reconnaisse leur identité, leur culture, leur religion. «Lobbying». La question est revenue comme un leitmotiv, lors du congrès de l'association Unir, en mars: «Combien d'Arabes à l'Assemblée nationale ? Au Sénat ? Au gouvernement ?» Unir se définit comme «un mouvement national dont l'objectif essentiel est d'oeuvrer à une réelle participation de personnes issues de l'immigration à la vie politique, économique, sociale et culturelle» et existe depuis 1997. Tout est parti d'un constat: «Quand les partis politiques ont voulu des beurs, c'était pour en faire des rabatteurs de voix», se souvient François Aissa Touazi, membre d'Unir. «Je ne veux pas qu'on me demande de m'intégrer, je le suis», déclarait Malika Ahmed, élue MDC à Aubervilliers lors du congrès. «Je m'appelle Malika, je ne permets à personne de changer mon prénom. Mais où sont les élus qui nous ressemblent ?» François Aissa Touazi: «La France n'assume pas sa diversité, elle a du mal avec notre identité maghrébine, africaine. Le pays doit pourtant assumer son arabo-berbérité, cette identité fait partie du paysage français. La France est une nation islamo-judéo-chrétienne, et tant qu'el le refusera sa part d'islamité, il y aura blocage.» Pour eux, il ne s'agit pas de communautarisme: «Nous sommes autant les enfants de la République que les enfants du Maghreb», résume François Aissa Touazi, qui a grandi à Dreux. «Aujourd'hui, la meilleure façon de se faire entendre c'est le lobbying auprès des partis politiques, des médias...» Pour lui, le Crif (le Conseil représentatif des institutions juives de France) est, à cet égard, un modèle. On retrouve des initiatives semblables dans le monde de l'entreprise. Un Club des jeunes diplômés issus de l'immigration (CJDIM) a vu le jour en 1999, sous l'impulsion de Mohamed el-Ouahdoudi. Conçu pour orienter et «coacher» des jeu nes qui, malgré leurs diplô mes, ont du mal à entrer dans le marché du travail, ou leur trouver des postes dans des filiales implantées dans le Maghreb. Ou encore, le Club Averroès, né en 1995. Il oeuvre discrètement auprès des chefs d'entreprise, des banques, des chaînes de télévision pour les sensibiliser et les informer, notamment sur la discrimination. Cette démar che est celle d'élus de gauche ou de droite, de responsables associatifs, de sportifs, de chefs d'entreprise, de journalistes d'origine maghrébine ou africaine. «Nos doléances ne sont pas relayées. Personne ne compte plus sur les politiques, tous nos partis ont échoué. Le grand changement, c'est que, de tous bords, on se retrouve sur ce constat», rapporte l'un de ses membres. Inquiétude. L'université elle aussi voit percer ces mobilisations communautai res. Fin mars, les Etudiants musulmans de France (EMF) ont fait un bond aux élections des Crous (centres régionaux des oeu vres universitaires et scolaires). En deux ans, ils sont passés de 1,6 % à 7 % et ont obtenu 11 élus. Certes, la participation globale n'est que de 5 %, mais localement l'EMF a su mobiliser. Là où le mouvement présentait des candidats, il a parfois recueilli plus de 20 % des suffrages (à Lyon et Grenoble notamment). Tous les ans, de nouvelles sections s'ouvrent: à Montpellier et Reims cette année. Fethi Belabdelli, le président, explique que son association est «au service de tous les étudiants». Mais elle défend aussi des droits particuliers: menu végétarien, négociation des horaires des restos U pendant le ramadan. «Nous affichons notre identité musulmane. Mais on se sent citoyen à part entière. On encourage les actions sociales, syndicales, le vote. C'est un appel à la reconnaissance de cette composante musulmane dans la société française», explique Fethi Belabdelli. Ce mouvement - qui s'apparente à la pensée de l'UOIF, proche des Frères mu sul mans - et surtout son succès électoral inquiètent les autres syndicats étudiants (Unef et UNI), pour lesquels la promotion d'un islam militant n'a pas sa place dans l'université. «On affiche une revendication culturelle, mais les mosquées et les pratiques religieuses ne sont pas de notre ressort», répond l'association. «Crispations». «Plus personne aujourd'hui ne veut renoncer à ce qu'il est», constate la sociologue Nacira Guénif Souilamas (1). «Ces mouvements ne sont pas compris, à cause de la crispation sur le modèle d'intégration. "Laissez-nous dire ce que nous sommes", demandent-ils. Ce n'est pas contre la société, mais pour la société politique.» «On n'a pas à justifier qu'on est français», dit Kilani Kamala, qui connaît mieux l'histoire de France que celle de la Tunisie de ses parents. «On a la même carte d'identité, la même carte d'électeur», renchérit un ami. Jeunes diplômés qui avaient «envie de réussir», ils se sont regroupés pour obtenir une mosquée sur leur commune d'Aubervilliers. «On réclame ce que nos parents n'ont pas osé faire, on met en avant la religion. Nos parents étaient dans l'autocensure, dans la léthargie, ils ne s'exprimaient pas.» Cette nouvelle génération, née ici, est en train de se débarrasser des complexes de ses parents. Eux sont français et musulmans, et sortent de l'ombre


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